Le 4 décembre 2014, l’ANADAVI recevait, comme d’autres professionnels du dommage corporel, un projet de décret visant à officialiser une nomenclature des postes de préjudices. Ce projet était également soumis à la discussion du public sur le site du ministère de la Justice. Nous n’avons pas eu malheureusement accès aux contributions qui ont pu y être déposées.
Joignant une analyse critique détaillée du projet de décret et de tous les postes de préjudices, l’ANADAVI écrivait, le 26 décembre, à Madame le Garde des sceaux :
« Madame la Ministre,
Nous faisons suite au projet de décret instaurant une nomenclature des postes de préjudices résultant d’un dommage corporel qui nous a été communiqué le 1er décembre 2014. Nous tenions tout d’abord à vous remercier pour la qualité de nos échanges avec vos services.
S’agissant de l’opportunité de ce décret : celle-ci nous paraît hautement discutable. D’autres réformes sont en effet attendues depuis longtemps par les victimes : révision du recours des tiers payeurs, réparation intégrale de la faute inexcusable de l’employeur, amélioration de la revalorisation des rentes, fixation d’un barème de capitalisation évolutif, etc. Il est regrettable que ce décret précède ces réformes tant attendues.
Décider de définir les postes de préjudices par un texte obligatoire constitue un tournant pour la matière. C’est décider que la jurisprudence ne doit plus être la source principale de définition des postes de préjudices, mais une simple source accessoire et complétive. C’est prendre une responsabilité importante face aux victimes.
La nomenclature Dintilhac, d’application consensuelle, n’a attendu aucun texte pour faire ses preuves et le colloque, qui a réuni professeurs de droit et praticiens autour des 10 ans de cette nomenclature, a laissé apparaitre que cette dernière ne devait pas être figée par un texte réglementaire.
Vous connaissez nos craintes qui rejoignent celles des associations de victimes que cette nomenclature ne devienne la base d’un barème d’indemnisation contre lequel nous luttons et qui porterait gravement atteinte au principe de réparation intégrale.
Le défaut majeur de ce projet de décret est la limitation des définitions. Si l’on peut prévoir de nouveaux postes, il est paradoxal de limiter les définitions des postes énoncés. Il ne fait aucun doute que le juge sera saisi pour des refus d’indemnisations même absurdes du fait d’interprétations au pied de la lettre.
Il serait cependant injuste de ne pas remarquer les points forts du projet. Ce décret aura pour avantage de rendre l’application de cette nomenclature obligatoire aux juridictions administratives et de permettre, on peut l’espérer, une meilleure indemnisation des victimes.
Il ne faudrait pas pour autant que le Conseil d’État sommé ainsi d’appliquer une nomenclature plus détaillée que celle de l’avis Lagier se rallie à la jurisprudence contra legem de la Cour de Cassation sur la déduction des rentes accident du travail du déficit fonctionnel permanent.
S’agissant plus particulièrement des postes de préjudices, la scission du Déficit Fonctionnel Permanent en trois parties nous paraît indispensable pour permettre la réparation intégrale du préjudice. En effet, le barème médico-légal utilisé par les médecins dans le cadre des expertises est totalement obsolète. Il ne permet pas d’appréhender les trois composantes du déficit fonctionnel permanent actuel, ce qui aboutit à l’absence d’indemnisation des souffrances permanentes et de la perte de qualité de vie. Il est certain qu’un décret qui validerait le DFP tel que défini actuellement par la jurisprudence serait très préjudiciable aux victimes.
La confirmation jurisprudentielle d’un poste autonome pour la tierce personne temporaire est favorable aux victimes au regard de l’importance de ce poste, mais à condition bien entendu de revoir sa définition (ce sont les besoins qui doivent être indemnisés et non les dépenses remboursées).
Ces points forts seront-ils suffisants pour emporter l’adhésion… ?
Le projet de décret vise à « harmoniser les règles de recours des tiers payeurs à travers une nomenclature des chefs de préjudice » (site du Ministère de la Justice) mais il ne résoudra pas la question de l’imputation de certaines prestations des postes personnels. L’adjonction d’une incidence professionnelle personnelle, qui doit être redéfinie, ne sauvera pas ce poste du recours en l’état actuel de la jurisprudence.
De plus, si la scission du déficit fonctionnel permanent ne figure finalement pas dans le décret, il faudra désespérer de toute amélioration du sort des victimes puisque le texte sera devenu d’application obligatoire.
Ce projet de décret était également l’occasion de rééquilibrer les postes temporaires et permanents. Force est de constater que le déficit fonctionnel temporaire continue de concentrer trois postes en un.
En conclusion, même si ce projet que nous n’appelons pas de nos vœux possède des points positifs non négligeables, des modifications restent nécessaires pour que la mise en forme réglementaire de la nomenclature ne devienne pas préjudiciable aux victimes. Parmi ces modifications figure – et ce point est capital pour les victimes – l’adaptation des définitions au cas soumis.
Nous vous joignons nos propositions de modifications du projet de décret et de son annexe. »
La réaction négative des assureurs à ce projet nous est connue uniquement par le truchement de L’Argus qui titrait, le 21 janvier dernier, que la réforme Taubira couterait 1 Md€. Selon cette revue, l’un des motifs d’accroissement des coûts serait l’autonomisation du poste d’assistance temporaire par tierce personne, actuellement intégré dans les « frais divers », ce qui constituerait’ : « une vraie difficulté pour les assureurs qui indemnisent sur la foi de justificatifs de paiement des prestations et qui voient là un risque de dérive des coûts ». Si ce motif est exact – et pourquoi en douter ? –, nous invitons les compagnies d’assurances à respecter – décret ou pas – ‘la’ jurisprudence constante de l’ensemble des juridictions qui admet l’indemnisation de la tierce personne en fonction des besoins de la victime, et non des factures produites.
Le décret verra-t-il le jour ?
Si un projet de décret est maintenu, une nouvelle concertation sur les modifications sollicitées par les parties prenantes et actées par le ministère de la justice apparait indispensable.
Claudine Bernfeld
Présidente de l’ANADAVI