Après avoir été rejeté par la Commission des lois, le Sénat a adopté dans sa séance du 9 octobre l'amendement sur lequel l'ANADAVI avait d'ores et déjà alerté.

Ces dispositions, si elles devaient être adoptées, constitueraient un recul très important pour les victimes d'actes de terrorisme.

1. Sur la création du Juge de l’Indemnisation des Victimes d’Actes de Terrorisme (JIVAT)

1.1. En l’état actuel du droit, le processus d’indemnisation se fait en première intention à l’amiable avec le FGTI (reconnaissance du statut de victime, désignation d’un médecin expert, évaluation des préjudices, versement de provision, offre d’indemnisation…).

Dans l’hypothèse où la victime ne serait pas satisfaite ou contesterait la position du FGTI, le Tribunal de Grande Instance, soit du lieu de l’attentat soit du siège du Fonds de Garantie (Créteil), est compétent pour trancher le litige.

1.2. Par cet amendement, un Juge unique avec compétence exclusive au TGI de Paris serait donc créé.

La spécialisation du contentieux est un progrès.

Toutefois, cette proposition exposerait les victimes à la privation d’un Juge spécialisé de proximité pour les attentats en dehors de Paris et d’Ile de France.

Les victimes des attentats de Nice seraient donc contraintes de porter leur affaire devant le JIVAT de Paris (exemple : 850 demandes d’indemnisation ont été rejetées par le FGTI).

Par ailleurs, ce JIVAT qui serait compétent pour toutes les demandes des victimes d’actes de terrorisme (droit à indemnisation, expertise judiciaire, demande de provision, contrôle de l’expertise, indemnisation au fond) serait donc très vite engorgé.

La rapidité promise ne serait pas au rendez-vous et n’est garantie par aucun délai annoncé dans ce projet.

1.3. Ainsi, dans le contre-amendement, il a été proposé de créer une chambre spécialisée par région afin d’assurer aux victimes une proximité de juridiction et d’encadrer la procédure par des délais.


2. Sur les conséquences d’une juridiction unique sur l’indemnisation des victimes.

Un Juge unique aurait donc vocation à trancher l’ensemble des demandes des victimes d’actes de terrorisme, une barémisation officieuse de l’indemnisation serait donc appliquée.

La recherche d’une harmonisation de l’indemnisation est une fausse croyance bénéfique pour les victimes.

En effet, d’une part, l’harmonisation a toujours tendance à niveler vers le bas l’objectif recherché.

D’autre part, en dommage corporel, il ne s’agit pas de rechercher une harmonisation de l’indemnisation, mais au contraire une individualisation de l’indemnisation.

Pour chaque victime, le vécu a été différent et les conséquences l’ont été également.

Les Avocats spécialisés en Droit du Dommage Corporel et l’ANADAVI se sont toujours opposés à ce qu’un barème de l’indemnisation soit publié.


3. Sur l’éloignement des victimes du Procès pénal.

Par cet amendement, le Juge pénal n’aurait plus la possibilité de se prononcer sur les intérêts civils ce qui aboutirait à une réduction du droit des victimes d’actes de terrorisme par rapport aux autres victimes (agressions, accidents de la voie publique).

Si la phase technique du chiffrage peut être renvoyée à un juge spécialisé, sa compétence initiale doit être préservée.

De grandes évolutions jurisprudentielles en Droit du Dommage Corporel sont passées par le juge pénal, à l’issue d’audiences très longues et d’auditions des victimes, et notamment en reconnaissant l’indemnisation du préjudice d’angoisse et du préjudice d’attente.


4. Sur l’ingérence du FGTI.

Dans le cadre de cet amendement et selon les modifications proposées à l’article L.422-1-1 du Code des assurances, le FGTI pourrait « requérir de toutes administrations ou services de l’Etat et des collectivités publiques, organismes de sécurités sociales, organismes assurant la gestion des prestations sociales, établissements financiers ou entreprises d’assurance susceptibles de réparer tout ou partie du préjudice, la réunion et communication des renseignements dont ils disposent ou peuvent disposer et relatifs à l’exécution de ces obligations éventuelles sans que ne puisse lui être opposé le secret professionnel ».

Il s’agit là d’un pouvoir exorbitant qui serait donné au Fonds de Garantie qui disposerait alors d’un pouvoir d’ingérence pour obtenir des informations personnelles sur les victimes et sans que la victime ne soit informée de ces démarches.

Ces prérogatives rompraient l’égalité avec les victimes d’autres faits générateurs de dommages et aboutiraient à traiter les victimes d’actes de terrorisme comme des suspects.

Or, la bonne foi est présumée jusqu’à preuve du contraire.

Le FGTI dispose naturellement de la possibilité de bloquer l’indemnisation de la victime si ce Fonds considère ne pas disposer des éléments nécessaires et suffisants pour pouvoir évaluer de manière définitive le préjudice de la victime.

Ainsi, dans le cadre du contre-amendement, il a été demandé à ce que ces articles soient purement et simplement supprimés.


5. Sur la qualité d’Expert judiciaire des médecins du FGTI.

Il serait alors imposé au Fonds de Garantie de constituer une liste composée uniquement de médecins disposant de la qualité d’Expert judiciaire.

Cette disposition ne renforce en rien le droit des victimes.

Ce serait toujours le Fonds de Garantie qui désignerait de manière unilatérale un médecin.

Cette proposition ne permet pas d’assurer à la victime une expertise à caractère contradictoire ni de favoriser un règlement amiable qui devrait en découler.

L’égalité des armes entre la victime et le FGTI devrait imposer que, dans un processus de règlement amiable, la victime puisse également choisir le médecin qui aura vocation à l’examiner.

Bien plus, imposer que les médecins désignés par le FGTI soient exclusivement des experts judiciaires conduirait à ce que le JIVAT dispose de la même liste que le FGTI et donc puisse désigner les mêmes médecins notamment celui refusé par la victime dans le cadre amiable, par exemple….

Ainsi, dans le cadre du contre-amendement, il a été proposé d’imposer au FGTI de choisir des médecins spécialisés en évaluation du dommage corporel et que la victime puisse choisir un médecin parmi une liste de trois médecins spécialisés.


6. Sur les dommages et intérêts en cas d’offre tardive et insuffisante.

A ce jour, en cas d’absence d’offre ou d’offre insuffisante, le FGTI pourrait être condamné à des dommages et intérêts.

Or, il serait inéquitable que les victimes d’attentats ne bénéficient pas de droits au moins identiques à ceux des victimes de la circulation, c’est-à-dire le doublement des intérêts de plein droit.

Cette sanction est plus favorable aux victimes dans la mesure où elle peut être réduite mais non supprimée par le juge, contrairement aux dommages intérêts tels que prévus dans le dispositif actuel.

Force est de constater qu’il n’existe aucune disposition effective dans cet amendement du gouvernement garantissant les intérêts des victimes d’actes de terrorisme et faisant avancer leur droit.

Pour l’ensemble de ces raisons, et au-delà des critiques ci-dessus développées, dans le conte-amendement il a été sollicité :

  • La mise en place d’expertise amiable contradictoire : c’est-à-dire une évaluation des préjudices prise d’un commun accord entre le médecin du FGTI et le médecin de la victime avec le dépôt d’un rapport d’expertise à double entêtes.
  • La formation en évaluation du dommage corporel des médecins du FGTI, comme pour tous médecins de Compagnie d’assurances en matière d’accident de la voie publique ;
  • L’obligation pour le FGTI de maintenir son offre amiable en cas de refus par la victime ;
  • L’obligation pour le FGTI de soumettre une offre dans des délais encadrés par décret avec doublement des intérêts en cas d’absence d’offre ou d’offre insuffisante ;
  • L’obligation par le FGTI de verser 80% de son offre (il agit de la sorte pour le moment, mais ce n’est pas inscrit dans les textes) ;
  • L’obligation de rédiger des procès-verbaux détaillés, poste par poste ;
  • L’obligation pour le FGTI d’informer la victime sur la procédure si celle-ci n’est pas représentée par un avocat ;
  • La possibilité pour la victime d’avoir accès, à proximité du lieu des attentats, à un Juge spécialisé.